Vingt-quatre heures dans la vie d'un social-traître
27 août, dix heures du matin. Le kommissariat de Honolulu-Centre reçoit un appel. « Allô ? J'ai voulu me reposer chez Kramarade X, mais la chambre était fermée à clef ». Un cas évident de social-traîtrise. Le kramarade kommissaire, sans perdre un instant, lance des ordres à son équipe.
A dix heures et quart, les policiers défoncent la porte du kramarade X avec fracas. Le social-traître est endormi sur son lit. « Alors, on fait la sieste ? » demande le kommissaire. Sans avoir eu le temps de répondre, l'individu est attrapé, maîtrisé, ligoté, bâillonné, puis emmené vers le centre de réédukation.
Dix heures trente. X est porté au bureau du procureur.
« Kramarade X, je vous suspecte d'avoir refusé l'accès de votre humble demeure aux autres kramarades ! Avez-vous quelque chose à déclarer ? »
« Mmhhff mmhh... »
« Bien. Je vous déclare coupable ! »
Le coupable est ensuite traîné vers les cellules par quelques policiers. A onze heures, un bourreau de police vient à la rencontre du kommissaire : « Heu, ça ne va pas être possible là. On est complet. Quoique, il doit rester de la place dans un placard... »
Après avoir constaté qu'un prisonnier occupe déjà le placard proprement dit, le kommissaire avertit le procureur, qui appelle ses confrères des provinces voisines. En vain. « Tous les centres de réédukation du coin débordent. Mais il y a une place au Kamp 333. »
« Mmmmfffff ! » remarque Kramarade X.
« Voyez l'efficacité du dispositif : en un rien de temps on lui a trouvé un centre d'accueil ! », nous confie le procureur.
A midi et demi, un camion noir arrive. Le social-traître est jeté à l'arrière. Quelques lourdes caisses de fenouil sont également balancées après lui, puis le véhicule redémarre, direction le Kamp.
Nous arrivons au Goulag à dix-neuf heures. Le voyage s'est déroulé sans incident. Le bourreau de police qui était dans le camion a distribué quelques claques à X pour qu'il se calme.
Le camion est accueilli par quelques projecteurs, et des kramarades demandent au conducteur les trente-sept autorisations nécessaires pour rentrer. Ils portent tous des moustaches, ou des cagoules. Quoique les kramarades à cagoule portent peut-être aussi des moustaches.
X est jeté dans un trou au bord de la cour, sous une grille. « Il a de la chance, il va avoir à boire. Il kommence à pleuvoir », dit un bourreau compatissant.
Vingt et une heures, la nuit tombe. Mais la vie au kamp continue. On fait la lecture du Petit Livre Rouge à X, on lui fait manger des clefs pour lui apprendre à ne pas s'en servir chez lui. Quant à moi, on m'indique le chemin de la mine : « Au boulot, kramarade reporter ! Il ne faut niet rester à rien faire ! »
28 août, quatre heures du matin. Epuisé, je m'en vais dormir un peu. Je croise Kramarade X dans la cour, sans vêtements et portant des sacs de briques. Un peu plus loin, un bourreau récite la Constitution à haute voix, en découpant des étoiles dans un pantalon.
Neuf heures et demi. Je retrouve Kramarade X dans une salle de réédukation. Deux kramarades en blouse s'occupent bien de lui, et lui donnent des conseils pour être un bon kramarade. Ils lui ont mis une sorte de casque sur la tête, pour l'aider à se concentrer.
Deux autres jours de réédukation suivront, mais je dois quitter le kamp pour retourner à Honolulu. Dix heures, un gardien vient me dire au revoir : « Kramarade reporter, la social-traîtrise est parfois kontagieuse. Nous, gardes et bourreaux, sommes vaccinés mais nous ne pouvons niet prendre de risque avec vous. Veuillez me suivre, s'il sous plait ! »
Quand je suis sorti du Kamp, le 29 août à quinze heures, j'étais plus que jamais empreint de graffitisme.