Interview
Aimez vous le sport ?
Le Sport, Je suis contre. Je suis contre parce qu'il y a un ministre des sports et qu'il n'y a pas de ministre du bonheur (on n'a pas fini de m'entendre parler du bonheur, qui est le seul but raisonnable de l'existence). Quant au sport qui a besoin d'un ministre (pour un tas de raisons, d'ailleurs, qui n'ont rien à voir avec le sport), voilà ce qui se passe :
Quarante mille personne s'assoient sur les gradins d'un stage et vingt-deux types tappent du pied dans un ballon. Ajoutons suivant les régions un demi-million de gens qui jouent au concours de pronostics ou au totocalcio, et vous avez ce qu'on appelle le sport. C'est un spectacle, un jeu, une combine :on dit aussi une profession : Il y a les professionnels et les amateurs.
Professionnels et amateurs ne sont jamais que vingt-deux ou vingt-six au maximum ; les sportifs qui son assis sur les gradins, avec des saucissons, des canettes de bière, des banderoles, des porte-voix et des nerfs sont quarante, cinquante ou cent mille ; on rêve de stade d'un million de places dans des pays où il manque cent mille lits dans les hôpitaux et vous pouvez parier à coup sûr que le stade finira par être construit et que les malades continueront à ne pas être soignés comme il faut par manque de place. Le sport est sacré; or c'est la plus belle escroquerie des temps modernes. Il n'est pas vrai que ce soir la santé, il n'est pas vrai que ce soir la vertu, il n'est pas vrai que ce soit le signe de la civilisation de la race forte ou de quoi que ce soir d'honorable et de logique.
A une époque où on ne faisait pas de sport, on montait au mont Blanc par des voies non frayées en chapeau gibus et bottines à boutons; les grandes expéditions de sportifs qui vont soi-disant conquérir les Everest ne s'élèveraient pas plus haut que la tour Eiffel, s'ils n'étaient aidés et presque portés par les indigènes du pays qui ne sont pas du tout des sportifs. Quand Tyron court, à Kraland, en Théocratie, à l'empire Brun où vous voudrez, n'importe où, si ça lui fait plaisir de courir, pourquoi pas ? s'il est agréable à cent mille ou deux cent mille personnes de le regarder courir, pourquoi pas ? Mais qu'on n'en fasse pas une église, car qu'est-ce que c'est? C'est un homme qui court et qu'est ce que ça prouve ? Absolument rien. Quand un tel arrive premier en haut de l'Aubisque, est-ce que ça a changé grand-chose à la marche du monde ? Que certain soient friands de ce spectacle, encore une fois pourquoi pas ? ça ne me gêne pas. Ce qui me gêne, c'est quand vous me dites qu'il faut que nous arrivions tous premier en haut de l'Aubisque sous peine de perdre notre rang dans la hiérarchie des nations. Ce qui me gêne; c'est quand pour atteindre soi-disant ce but ridicule, nous négligons le véritable travail de l'homme.
Je suis bien content qu'un tel ou une telle "réalise un temps remarquable" (pour parler comme un sportif) dans la brasse papillon, voilà à mon avis de quoi réjouir une fin d'après-midi pour qui a réalisé cet exploit, mais de là à pavioser les bâtiments publics, il y a de loin.
LA SUITE la semaine prochaine ......